Approche européenne des réglementations internationales en matière d’assurance


Cet article a préalablement été publié en anglais le 10/05/2015. Toutes les citations directes doivent être confrontées à leur version originale en anglais.
À l’origine considérée comme un second rôle au générique de la finance mondiale, l’assurance fait désormais son apparition au premier plan de la scène financière internationale ; lasse de jouer les faire-valoir, elle fait désormais jeu égal avec les vedettes que sont les services bancaires et les activités de produits dérivés. À la suite de la crise financière et de la déconfiture catastrophique, voire cataclysmique, d’AIG et des compagnies d’assurance mono-produit (cela paraît très loin), les organismes de supervision internationaux comme le Conseil de Stabilité Financière et l’Association Internationale des Contrôleurs d’Assurance, un organisme faisant pendant au Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, ont pris une part active aux efforts de supervision du secteur de l’assurance au niveau international. Certains diront une part hyperactive.
Les assureurs européens ont relativement bien géré la crise, sans toutefois pouvoir se passer d’une aide du contribuable ou d’une intervention significative de l’organisme régulateur, comme cela a été le cas aux Pays-Bas, en Suisse et en Italie.
Plusieurs établissements financiers ont rebondi après les creux de la crise, mais à quel prix ? Des taux d’intérêt pratiquement nuls et une croissance en berne. Quel est le coût d’opportunité de la crise financière ?
La réponse de l’Europe à la crise financière mondiale a notamment consisté à mettre en place un système pyramidal de surveillance financière. Chapeautant la base existante des autorités de supervision nationales, un ensemble d’autorités de supervision pan-européennes a été mis en place. Ces autorités européennes de surveillance sont au nombre de trois : EBA pour les services bancaires, ESMA pour les marchés des valeurs mobilières et EIOPA pour l’assurance. Au sommet de la pyramide (à proximité, mais un peu en marge de la BCE) l’Europe a créé le Conseil Européen du Risque Systémique (ESRB) qui a été chargé de « la surveillance macro-prudentielle du système financier dans l’Union, dans le but de contribuer à la prévention ou à l’atténuation des risques systémiques pour la stabilité financière. »
Pour la première fois aujourd’hui et en exclusivité pour Solvency II Wire, le chef du Groupe des Experts en Assurance (IEG) de l’ESRB nous fait part de son point de vue sur les travaux et l’approche de l’ESRB en matière de supervision du secteur européen des assurances et des efforts de régulation entrepris au niveau international.
« Les sujets ayant trait à l’assurance font régulièrement l’objet de réflexion au sein de l’ESRB, et ce depuis sa création » a déclaré à Solvency II Wire M. Georgiev à l’occasion d’un entretien écrit. « Toutefois, il a été considéré que l’importance du marché de l’assurance pour l’économie de l’UE impliquait que fût conduite une évaluation plus ciblée et plus approfondie, notamment au vu de l’évolution internationale dans ce domaine. »
Le Conseil de Stabilité Financière (FSB) (lui-même directement responsable devant le G20) a fixé un calendrier ambitieux à l’Association Internationale des Contrôleurs d’Assurance (IAIS) avec pour objectif la conception et la mise en œuvre une norme mondiale en matière d’assurance. L’ensemble du processus s’avère être fondé sur l’importance systémique de l’assurance. « L’ESRB, en tant qu’institution, ne s’est pas encore prononcé sur les risques systémiques posés par le secteur de l’assurance et sur les initiatives de l’IAIS. Il a récemment analysé et discuté des aspects macro-prudentiels de Solvency II et du risque systémique lié à un éventuel « coup double », à savoir la combinaison d’actifs à bas prix et des faibles taux d’intérêt », a déclaré M. Georgiev.
Europe’s approach to international insurance regulation 3 Sur la base de cette analyse, l’ESRB était l’une des voix appelant en 2013 à ce que EIOPA procède à une évaluation de l’impact des mesures de garanties à long terme (LTG). L’analyse de l’ESRB a également contribué à documenter les scénarios négatifs du stress test d’EIOPA en 2014, a expliqué M. Georgiev. Cela a également été le catalyseur qui a mené à création de l’IEG, qu’il dirige aujourd’hui.
L’IEG de l’ESRB a été missionné pour analyser un large éventail de sujets. « L’analyse commence d’une manière assez générale avec le rôle de l’assurance dans l’économie de l’UE. Nous avons ensuite étudié les canaux de contagion éventuels entre le secteur de l’assurance et les autres secteurs de l’économie d’une part et au sein du secteur de l’assurance d’autre part. »
Après avoir dressé la carte des expositions et des canaux de contagion, le groupe a commencé à étudier les déclencheurs possibles de risque systémique au sein du secteur de l’assurance. « À ce stade, nous enquêtons sur une pléthore de sujets différents, depuis les modèles économiques spécifiques, tels que la réassurance ou les conglomérats financiers, jusqu’aux avantages et aux inconvénients de la supervision prudentielle. »
L’IEG a également été missionné pour proposer des polices et des instruments permettant d’atténuer les risques qu’il sera amené à identifier.

Propositions de l’IAIS sur les G-SII

Deux des aspects les plus controversés des travaux de l’IAIS concernent en premier lieu la désignation de neuf assureurs d’importance systémique mondiale (les « G-SII » pour « Global Systemically Important Insurers ») et en second lieu, la distinction faite entre les soi-disant activités d’assurance traditionnelles et non traditionnelles.
Georgiev a toutefois souligné que l’IEG adoptait une démarche légèrement différente : « Le débat sur le risque systémique est assez complexe et nécessite de procéder à plusieurs niveaux d’analyse, à tout le moins mondial et régional. Je me félicite donc que l’IAIS a pris une part active dans le traitement des risques systémiques à l’échelle mondiale. »
« Il convient toutefois de reconnaître que la réflexion sur le risque systémique évolue constamment et qu’il y a actuellement de plus en plus de participants à la discussion qui se demandent si la désignation d’une liste restreinte de sociétés ne coupe pas court au débat sur le risque systémique » a poursuivi M. Georgiev. « C’est pourquoi au sein du groupe de travail de l’ESRB, nous avons adopté une position plus large sur la « chasse » au risque d’assurance systémique. Pour illustrer ceci, je dirais que nous préférons utiliser des filets plutôt qu’un gros fusil. »
Les aspects positifs de l’assurance sont largement supérieurs aux effets de la crise financière aussi négatifs soient-ils. Dans de nombreuses régions, les assureurs continuent d’occuper le devant de la scène car ils sont considérés comme des investisseurs importants pour l’économie. En Europe, où le secteur de l’assurance est le plus grand investisseur institutionnel, ils semblent parfois auréolés d’un statut de quasi-sauveur. Du fait de leurs engagements sur la durée et de leurs horizons d’investissement à long terme, ils sont par exemple considérés comme des investisseurs idéaux pour les projets d’infrastructure et ils s’affirment en conséquence comme des acteurs essentiels du rétablissement de la croissance économique.
Europe’s approach to international insurance regulation 1Ailleurs, l’assurance est considérée comme le système idéal de financement privé de la protection contre les catastrophes naturelles. Selon un rapport de 2012 de la Banque des Règlements Internationaux (BIS), seulement un quart des pertes environ sont actuellement assurées. Cela représente un marché d’environ 300 milliards USD de sinistres non couverts. Le potentiel en termes de profit et de contribution sociale est gigantesque.
Investir dans l’assurance et en particulier dans la réassurance commence à être « cool », à être très tendance quasiment. Ces dernières années, le secteur a vu affluer des capitaux de plus en plus importants, notamment des fonds à vocation alternative, en partie parce que c’est l’un des rares investissements qui offre un profil risque/rendement attrayant.
Tous ces facteurs ont été apportés au débat sur l’importance systémique du secteur de l’assurance dans un contexte international.
La création d’une norme réglementaire mondiale en matière d’assurance passe impérativement par la définition d’une norme mondiale en matière de fonds propres. À l’instar de Solvabilité II, l’architecture de l’IAIS repose sur trois piliers (fonds propres, gouvernance et information). De façon surréaliste et troublante, certaines des difficultés rencontrées en Europe se sont trouvées amplifiées sur la scène internationale. Les lecteurs familiers avec la complexité et les intrigues politiques du débat Solvabilité II LTG sur les garanties à long terme reconnaîtront les chausse-trappes apparaissant dès qu’il s’agit de normaliser ce secteur non uniforme.
D’une certaine façon, la difficulté à concevoir une norme mondiale en matière de fonds propres est la conséquence de la nature même du métier d’assureur. Tandis que les banquiers prodiguent naturellement des services par essence internationaux, avec des engagements relativement simples, l’argent, les engagements des assureurs ont tendance à être très spécifiques aux régions et aux pays ; ils sont conçus pour répondre aux besoins des communautés locales et des marchés nationaux. Tenter d’imposer une norme mondiale de fonds propres à ce qui est de fait une activité fondamentalement locale s’avère problématique.

Proposition de l’IAIS concernant le BCR et l’ICS

De sorte à surmonter ces différences, l’IAIS propose un plan de trois étapes. Le but ultime est de créer d’ici 2019 une norme de capital, l’Insurance Capital Standard (ICS), qui s’appliquera à tous les groupes d’assurances reconnus comme actifs à l’international (l’ICS fait partie de ComFrame : le Cadre commun de supervision des groupes d’assurances reconnus comme actifs à l’international). En vue de l’ICS, l’AICA a déjà défini en 2014 le Backstop Capital Requirement (BCR), une exigence minimale de fonds propres qui est essentiellement une mesure de comparabilité visant à aplanir les différences mises en exergue plus haut. Le BCR sera par ailleurs le socle sur lequel sera construit le Highler Loss Absorbency (HLA) qui comportera des exigences de fonds propres supplémentaires pour les G-SII uniquement. Il est prévu que ce processus documentera la conception finale de l’ICS.
Georgiev est convaincu qu’il s’agissait là d’une étape nécessaire, compte tenu de la volonté du Conseil de Stabilité Financière d’assurer une meilleure absorption des pertes des sociétés du G-SII. Toute autre solution qui serait basée sur des cadres nationaux n’aurait fait que rendre encore plus impraticable un terrain de jeu déjà inégal.
« L’un des enseignements essentiels tirés de la crise a été que les lacunes dans le contrôle des groupes pouvaient conduire à la création de poches de risque systémique en dehors à la fois des champs de vision et d’intervention des organismes de supervision. Bien sûr, et bien qu’il soit toujours possible d’imposer une exigence de fonds propres supplémentaires, je reste convaincu que nous avons à notre disposition dans le secteur de l’assurance des mesures beaucoup plus spécifiques et précises permettant de cibler les risques systémiques au niveau micro-prudentiel. En conséquence de quoi, boucher les trous au niveau micro-prudentiel, avant d’imposer des mesures macro-prudentielles, est sans doute une approche raisonnable. »
« Il convient cependant de garder à l’esprit que, grâce aux longues, mais fructueuses discussions sur Solvabilité II, nous autres européens avons une longueur d’avance. Tout ceci est donc une discussion qui est désormais derrière nous en Europe, ce dont nous pouvons nous féliciter.
La discussion sur la supervision internationale est étroitement liée à Solvabilité II, étant donné que l’Europe a choisi de foncer sur Solvabilité II et a montré le chemin en créant un système fondé sur le risque et axé sur la stabilité des entreprises prises individuellement.
« Avec Solvabilité II, nous disposons en Europe d’un système fondé sur le risque bien avancé et opérationnel », commente M. Georgiev. « Cela facilite le travail des macro-superviseurs, puisque l’exigence de fonds propres couvre déjà un large éventail de risques actuels et potentiels. En particulier, les exigences relevant du deuxième pilier, comme l’ORSA, peuvent nous donner beaucoup d’informations sur ce qui se passe au-delà du quantile de 99,5 %.
« Je suis conscient qu’il y a des voix dans le concert international qui défendent un point de vue différent et attribuent précisément la sensibilité aux risques de Solvabilité II à la montée des risques macro-prudentiels tels que la pro-cyclicité. Je pense toutefois que ceci est illusoire, étant donné que si la solution de rechange, à savoir la comptabilisation à la valeur comptable, n’induit certes pas la pro-cyclicité, elle laisse les organismes de surveillance « tâtonner dans le noir », sans aucune information du tout sur la situation réelle de l’assureur en termes de risques. »
Europe’s approach to international insurance regulation 4Georgiev admet volontiers que Solvabilité II n’est pas la solution parfaite, au même titre que n’importe quel autre cadre de supervision. « Je suis persuadé que l’évolution de la réflexion mondiale sur les risques systémiques et l’accumulation d’expérience dans ce domaine aboutiront à de meilleures solutions, à même de lutter contre les effets indésirables qui subsistent et qui sont liés à l’essence même de l’économie de marché, la pro-cyclicité par exemple. »
Il a toutefois exprimé des doutes quant à la possibilité d’appliquer directement au marché européen de l’assurance le concept d’activités systémiquement risquées, telles que les activités « Non Traditionnelles, Non Assurantielles » (NTNI) définies dans les projets en cours de l’IAIS Par exemple, la liste actuelle adoptée par l’AICA contient de nombreux produits qui sont d’une pertinence limitée en Europe.
« Je suis convaincu que chaque pays a suivi la démarche qui convient le mieux à son marché », a ajouté M. Georgiev. « Par exemple, le Financial Stability Oversight Council (FSOC) américain se fonde sur un équilibre entre les évaluations quantitatives et qualitatives de sorte à tenir compte de l’hétérogénéité des entreprises examinées. »
« Qui plus est, l’ERSB pose des questions différentes dans un premier temps. Nous ne cherchons pas à identifier toutes les compagnies systémiquement risquées. Notre objectif est de comprendre exactement ce qui se passe sur le marché des assurances en termes de risque systémique, puis de réfléchir aux mesures appropriées. Pour ce faire, nous nous appuyons sur une approche plutôt analytique et quantitative. »

Solvabilité II et norme de régulation mondiale

Le débat international en cours est principalement dominé par la question de savoir quel est le système de supervision le plus à même de servir de cadre international.
« Comme je l’ai dit, je suis convaincu qu’un système solide de régulation micro-prudentielle est essentiel pour garantir l’efficacité des mesures macro-prudentielles. Il est en conséquence important de s’assurer que nous disposons de cette base solide à l’échelle mondiale. De mon point de vue, l’ICS en constitue un élément clé. Dans ce contexte, je pense qu’il y a deux choses qui doivent être mises en exergue dans une perspective européenne. Premièrement, l’ICS ne sera pas et ne peut pas être une simple copie de Solvabilité II. Deuxièmement, Solvabilité II doit sur le principe être considéré comme la mise en œuvre pratique des exigences en termes d’ICS.
« Cela étant dit, je reste convaincu que plus il y aura d’aspects de Solvabilité II repris au niveau des normes mondiales de fonds propres, plus il sera facile d’imposer aux compagnies d’assurance des mesures mondiales efficaces en plus de ces normes. »
« Il convient de garder à l’esprit qu’avec Solvabilité II, l’Europe a placé la barre assez haut dans le contexte international. Nous ne devons pas arriver à une situation où il serait demandé beaucoup aux entreprises européennes, mais cela ne fait que déplacer les risques systémiques sur d’autres parties du monde où le niveau de supervision serait moindre. Après tout, isoler l’ensemble du marché n’est pas un outil macro-prudentiel réaliste. »

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Cet article a préalablement été publié en anglais le 10/05/15. Toutes les citations directes doivent être confrontées à leur version originale en anglais. 
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